Lignes-rouges.over-blog.com

Lignes-rouges.over-blog.com

Géopolitique, évolution d'un monde multipolaire. Poutine, Trump, Xi Jinping, Narendra Modi, Hassan Rohani et l’Europe…. Ce qui à changé. "II faut dormir comme le lion sans fermer les yeux" Cardinal de Richelieu. Maximes d'État (1623). Blog d'Olivier d'Auzon


Cohabiter avec l’Armée syrienne est-elle une option pour Paris ?

Publié par Olivier d'Auzon sur 15 Octobre 2019, 11:34am

Avec le retrait effectif des troupes américaines, et l’accord conclu entre les Kurdes et Damas, les soldats français sont isolés plus que jamais sur le terrain. Cohabiter avec l’Armée syrienne est-elle une option pour Paris ?

 

 

L’opération dite "Sources de la Paixorchestrée par la Ankara en Syrie, débutée le 9 octobre 2019 contre les Unités de protection du peuple (YPG) kurdes et les Forces démocratiques syriennes arabo-kurdes (FDS) a pour objectif de créer une "zone sûre" destinée à accueillir à terme les réfugiés syriens en Turquie.

  

Elle est assurément et surtout une occasion rêvée par Moscou. Et cela à plus d’un titre…

 

D’abord parce qu’elle implique le repli, des forces occidentales qui occupent l’est de la Syrie et par la même la victoire de l’axe russo-irano-syrien.

 

Et c’est ainsi que le chef du Pentagone Mark Esper a annoncé le retrait de 1000 soldats américains du nord de la Syrie, et les unités des  forces spéciales françaises dont l’une des missions immédiates est de traquer les djihadistes francophones,  lui emboitaient le pas « rarement dans l’histoire récente, nous n’avions vu une telle déconfiture française, la colère de Paris ne traduit que son impuissance. Pour la France, l’affaire syrienne aura été consternante de bout en bout » peste Jean-Dominique Merchet dans l’Opinion.

 

Dans ce contexte, on soulignera volontiers que pour les Russes, la mise en place d’un corridor turc à la frontière est autrement moins gênante que l’existence d’une vaste zone autonome au nord-est, sous protection américaine.

 

Ensuite, l’opération accentue les tensions entre les Occidentaux, alliés des Kurdes syriens et la Turquie, dont Moscou pourrait tirer profit en se présentant comme un allié plus fiable et plus compréhensif pour Ankara. 

 

D'un point de vue occidental, l'affaire du lâchage des alliés kurdes de la Coalition est particulièrement problématique, tant pour l'unité de l'OTAN, pour les réactions des opinions publiques, politiques et médias occidentaux, que du point de vue sécuritaire (quid des djihadistes relâchés par les milices pro-kurdes ?) Souligne Alexandre del Valle dans Valeurs Actuelles.

 

 

On l’aura compris « La situation actuelle a tout pour renforcer Moscou, assure Alexandre Choumiline, directeur du Centre d’études sur le Moyen-Orient de l’Académie des sciences de Russie. 

 

La Russie sait tirer parti des erreurs des autres et prendre les espaces laissés vides. Aujourd’hui, Washington est à nouveau en retrait et en position de faiblesse. Quant à la Turquie, elle va se retrouver de plus en plus isolée. »

 

Mais il y a plus, l’offensive turque jette les Kurdes dans les bras du régime et qu’elle pourrait faciliter une reprise de contact direct entre Ankara et Damas.

 

Chacun sait que la Russie milite depuis deux ans de trouver un compromis entre Damas et les Kurdes. 

 

 Pour mémoire, les négociations avaient cessé depuis mars 2018, au moment de l’offensive turque, avalisée par la Russie, sur la ville d’Afrine, qui était aux mains des Kurdes. Ces derniers avaient été écartés des dernières négociations politiques.

 

Moscou et Damas sont en position de force vis-à-vis des Kurdes.  Etant entendu que l’annonce du retrait américain ne laisse pas d’autres choix pour les Kurdes que de se tourner vers le régime.

 

« Quand nous avons négocié avec eux ils n’ont rien voulu céder, ils voulaient l’autonomie et rien d’autre. Aucune solution en deçà ne leur convenait. Ils nous tenaient la dragée haute, car ils avaient chassé Daech (acronyme arabe de l’État islamique) et étaient convaincus que jamais les Américains, reconnaissants, ne les lâcheraient», explique Igor Delanoë, directeur adjoint de l’observatoire franco-russe au quotidien l’Orient le Jour.

 

« Les Russes veulent faire comprendre aux Kurdes qu’ils auraient mieux fait de les écouter quand ils les pressaient d’être plus modestes dans leurs exigences à l’égard du régime, et d’arrêter de demander trop en termes d’autonomie. Ils ont répété aux Kurdes à longueur de temps qu’ils allaient être trahis par les Américains», confirme Igor Delanoë, au quotidien l’Orient le Jour

 

Les négociations pourraient faciliter un rapprochement entre Damas et Ankara.

 

«Les Russes espèrent que cette opération peut contraindre Turcs et Syriens à négocier directement », énonce Igor Delanoë, au quotidien l’Orient le Jour

 

Les parties en présence semblent vouloir ressusciter l’accord d’Adana, conclu en 1998, l'accord connu sous le nom de "protocole d'Adana" avait été signé dans cette ville turque pour mettre fin à une crise entre Ankara et Damas provoquée par la présence en Syrie à l'époque du chef du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) Abdullah Öcalan et de bases du groupe. Dès lors « On peut imaginer que cet accord sera réaménagé compte tenu des circonstances actuelles », explique Igor Delanoë. au quotidien l’Orient le Jour.

« Avec le retrait américain, tout s'est écroulé comme un château de cartes pour les Kurdes. En réalité, les populations arabes sont majoritaires dans cette région, et les Kurdes n'en avaient qu'un contrôle militaire », explique Fabrice Balanche, maître de conférences à l'université Lyon-2, contacté par Le Parisien. Le géographe, spécialiste de la Syrie.

« Les Kurdes n'ont plus le choix que d'être loyaux (au gouvernement syrien) car, sans l'intervention syrienne, un million de Kurdes auraient été déplacés par les Turcs, sans l'ombre d'un doute. Les populations ont très peur des supplétifs arabes d'Erdogan, car ils égorgent, ils pillent, ils violent, ce sont pour certains des anciens de Daech ou d'Al-Qaida. Le but avant tout c'était d'éviter un massacre », analyse encore le chercheur associé au Washington Institute.

 Dans cette perspective, Il est donc fort probable que les trois acteurs des accords d’Astana aient décidé de se répartir les rôles et de pousser ainsi les Kurdes à négocier avec Damas pour mettre fin à cette interminable guerre que les Occidentaux tentent de prolonger, commenteMiddle East Strategic Perspective. De fait, « Si l’armée syrienne a annoncé envoyer des troupes dans le Nord-Est syrien pour « contrer l’offensive turque », il y a fort à parier qu’il n’y aura pas de combat entre les deux armées. C’est plutôt une répartition du contrôle des zones, sous l’égide des Russes, qui semblent être à l’œuvre », Souligne Igor Delanoé au quotidien l’Orient le Jour.

 

C’est une victoire magistrale que vient de remporter le patron du Kremlin, quels que soient les développements futurs de l’invasion turque contre les Kurdes en Syrie. En offrant sa protection aux Kurdes, il renvoie les Américains à leur faute morale et à leur déshonneur. Il décrédibilise pour longtemps la parole américaine dans la région. 

Avec le retrait effectif des troupes américaines, et l’accord conclu entre les Kurdes et Damas, les soldats français sont isolés plus que jamais sur le terrain. Cohabiter avec l’Armée syrienne est-elle une option pour Paris ?

 

La France va-t-elle jouer un rôle ? Existe-t-elle encore en Syrie ? Les quelque centaines de soldats encore présents sont assez impuissants sans le soutien des Américains. Le président français s’inquiète d’abord de « protéger » les forces de sécurité des assauts turcs… Berlin et Paris ont annoncé le blocage des ventes d’armes à la Turquie : une menace dérisoire et toute symbolique qu’Erdogan a balayé d’un revers de main. Emmanuel Macron, Angela Merkel et toute l’Europe comptent sur Poutine pour bloquer l’offensive d’Ankara, empêcher le retour de l’État islamique et convaincre la Turquie de ne pas laisser passer vers l’Europe les centaines de milliers de migrants que ce chaos va générer. Poutine, l’homme qu’on déteste mais qu’on est trop content d’appeler au secours ? s'inquiète Valérie Toranian dans la Revue des deux Mondes. https://www.revuedesdeuxmondes.fr/edito-poutine-kurdes/

 

Paris ne risque t-il pas de se laisser « corneriser » dans une posture morale devenue caduque dans le contexte présent, et de renouveler ses erreurs passées ?

 

« Nous y sommes, pour le plus grand malheur des Kurdes. La situation des Kurdes syriens est le fruit de l’irreal politik occidentale qui sévit, pour le cas de la France, depuis le tournant atlantiste de notre diplomatie et l’abandon des principes gaulliens qui, en matière de politique étrangère, ont été jusqu’en 2003 un socle commun partagé tant par la droite que par la gauche. Cette époque révolue nous manque. Elle manque aussi aux peuples du Moyen-Orient », commente Caroline Galateros, Présidente et fondatrice du Think Tank Géopragma.

 

«Le paysage stratégique est dans une évolution telle que le Président Macron a bien voulu le prendre en compte en prenant à contre-courant la stratégie, jusqu’ici erronée ou fallacieuse d’un certain nombre de responsables français qui partaient du principe que nous devions soutenir ceux qui accessoirement ne sont pas forcément les maîtres du terrain. Inutile de rappeler que l’offensive syrienne s’inscrit dans le fait que le gouvernement syrien, qu’on soit d’accord ou pas avec lui, a regagné plus de 90% des territoires perdus au profit de Daesh, mais aussi des rebelles syriens réunis sous l’égide de l’Armée syrienne libre (ASL) des milices kurdes, ou encore des autres organisations terroristes, à l’instar de l’ancien Front Al-Nostra* rebaptisé en janvier 2017 Hayat Tahrir Al-Cham (HTS). De ce point de vue, notre agenda, qui jusqu’à présent se bornait à dire que nous étions en Syrie pour lutter contre Daech*, vient se heurter frontalement à cette réalité, qui fait que ceux que nous étions appelés à soutenir pour lutter contre Daech ne font pas appel à nous, car ils savent bien que nous sommes incapables de les défendre, mais font appel à celui [Bachar el-Assad, ndlr] que précisément nous avions désigné comme étant de nature à déstabiliser le pays.

On est dans un paradoxe absolu qui montre la déliquescence de notre action sur le terrain militaire comme sur le plan diplomatique. Nous n’avons pas grand chose d’autre à faire que de devoir nous "ranger" derrière celui qui est sans doute le seul en capacité de faire plier le Président turc: le Président russe.»,confesse Emmanuel Dupuy Président de l'IPSE.

Comment réagirait la France si ses partenaires arabes les plus proches, Riyad, Abou Dhabi et Le Caire, choisissent, dans le contexte actuel, de réhabiliter Assad politiquement, maintenant que l’Armée syrienne cohabite sur le terrain avec les FDS ? 

 

Comment s’organiserait éventuellement la cohabitation dans le Nord-est syrien entre l’Armée de Bachar el-Assad et les unités françaises déployées sur place ? 

 

"Le régime de Damas, que la France a voulu renverser, est toujours en place et bénéficie d’un nouveau sursis qui pourrait finir par lui offrir la voie d’une survie indéfinie. L’axe iranien consolide ses positions au Levant, au Liban comme en Syrie et au-delà. La Russie, dont le Président Vladimir Poutine est en tournée dans le Golfe (Arabie saoudite, Emirats Arabes Unis), ne cesse de récolter les fruits de sa mise particulièrement risquée au départ. La France reste seule en Syrie, sans objectifs stratégiques clairs " souligne Middle East Strategic Perspective.

 

Paris doit comprendre la loi majeure de la géopolitique consiste assurément à définir l'ennemi principal.

 

Paris doit comprendre la loi majeure de la géopolitique consiste assurément à définir l'ennemi principal, non pas en fonction de la morale et des droits de l'homme, mais des intérêts de son peuple . Cet ennemi est non pas la Russie mais l’islamisme totalitaire et conquérant.

 

Le « danger principal serait la revanche de l’islamisme ».

 

Dans la même veine, Hubert Védrine déclare que la « tragédie kurde » exprime,  « l’incohérence absolue » de l’Europe. L’ancien ministre des Affaires étrangère plaide donc pour une « réorganisation réaliste » des objectifs des Européens. Il estime qu’il y a en incompatibilité entre le projet de démocratisation de la Syrie, le fait de donner l’autonomie aux Kurdes et la lutte contre l’islamisme. « On  n’a pas les moyens de nos émotions » . Hubert Védrine juge que l’Europe a un problème de hiérarchisation dans ses objectifs. « La priorité est de rétablir une relation de travail et de coopération avec la Russie. » a-t-il déclaré. Il explique également qu’il faut convaincre Donald Trump de ne pas aller plus loin dans son bras de fer avec M.Erdogan et qu’il faut renoncer temporairement au processus de démocratisation syrien. Hubert Védrine juge que le « danger principal serait la revanche de l’islamisme ».

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents